Kinshasa : des forages à souhait pour pallier la pénurie d’eau potable

Par Pinganayi

A Kinshasa comme dans nombre de contrées de la République démocratique du Congo, la desserte en eau potable pose problème. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, diffusé en juin 2024, 65% de la population de ce pays n’a pas accès à l’eau potable, en dépit de l’énorme potentiel en ressources hydrauliques. Dans la capitale, les robinets des milliers de ménages connectés à la Regideso, la régie nationale de distribution d’eau, ont cessé de couler dans plusieurs quartiers depuis des semaines, des mois, voire des années. Pour pallier ce déficit, des particuliers implantent de plus en plus des forages dans leurs résidences, mais la qualité de l’eau fournie est encore loin de rassurer. Reportage.

Il est 6h20 ce jeudi 17 octobre 2024 au quartier Salongo sud, dans la commune de Lemba. Aujourd’hui, à cette heure matinale, les familles s’éveillent. Les enfants s’apprêtent à aller à l’école et les adultes au travail. Un tour dans le quartier nous permet de réaliser le calvaire que vivent au quotidien les résidents de ce milieu.

Pendant que boutiques et étalages ouvrent leurs portes, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux, récipients en main ou confinés dans des chariots, sillonnent les parages en quête de vannes de forages disponibles. D’une avenue à une autre, nous apercevons des dizaines de personnes transportant bidons, seaux, casseroles, bassins ou autres récipients.

En cette saison de pluie, le ciel arrose la terre, mais la fréquence n’est pas quotidienne. Dans les centaines de parcelles de ce quartier juché sur une colline, l’eau potable est une denrée rare. Très rare de voir les robinets de la Regideso couler en pleine journée. Encore moins, le soir. C’est généralement tard dans la nuit, quand les habitants ronronnent, que l’eau coule… à l’improviste. D’où, la culture de réserve qui a pris corps dans les ménages de cette contrée où quand il pleut, c’est la baraka.

Des raisons de la pénurie d’eau

Dans ce quartier, certaines avenues comme la 1ère Rue et la 2e Rue sont quelques fois desservies en eau par la Regideso. Au moins trois fois par semaine, les habitants de ce coin affirment être desservis parfois tard la nuit et constituent des réserves.

La sous-station de la Regideso qui pompe l’eau à Salongo Sud se situe à Lemba Super aux alentours de la station Total. Cette sous-station n’est plus puissante pour arroser tout le quartier Salongo. D’après un agent qui a requis l’anonymat, la sous-station fait face à beaucoup de problèmes techniques.

Souvent, la Snel ne fournit pas aussi un bon courant capable de faire fonctionner toutes les machines puissantes, avec une tension trop basse. Les machines peuvent rester à l’arrêt, alors que la sous-station a de l’eau pour pomper. La Regideso réfléchirait à élargir la capacité de cette sous-station dans le futur.

Selon la Banque Mondiale, la RDC ne consacre que 0,23% de son budget national au secteur de l’eau, hygiène et assainissement. La société nationale de distribution d’eau connaît de problèmes de gestion depuis des décennies. Ce qui explique même la libéralisation du secteur de l’eau en RDC dans la loi n°15/026 qui prône la décentralisation et l’accès équitable de tous aux ressources d’eau.

L’eau de forage, une aubaine

Sur notre trajectoire, ceux qui cherchent l’eau ont l’esprit alerte. L’électricité ayant été coupée tôt le matin, rares sont les forages qui fonctionnent. «Ils n’ont pas allumé aujourd’hui !», s’écrie, tout déçu, un jeune homme, les yeux rivés sur un groupe de personnes qui allaient s’approvisionner à la 5ème Rue de Salongo centre.

Aussitôt, tous rebroussent chemin et se rendent à la 6ème Rue où trois forages ont été actionnés grâce aux groupes électrogènes. Chacun s’achemine vers la vanne de son choix, les capacités de stockage des particuliers étant limitées.

«J’ai aménagé dans le quartier il y a de cela trois mois. Je peux vous affirmer que je n’ai jamais payé de factures de la Regideso. J’utilise quotidiennement l’eau des forages. On ne la boit pas, mais elle nous sert pour d’autres besoins : bain, lessive, vaisselle, nettoyage du domicile et des installations hygiéniques», nous confie Eric, habitant la 3ème Rue.

Comme Eric, plusieurs habitants de Salongo nous assurent qu’ils ne boivent pas l’eau des forages, la jugeant impropre à la consommation. Elle est, pour la plupart, destinée à d’autres tâches ménagères. Mais même pour le bain, l’eau des forages n’est pas rassurante pour certaines peaux sensibles, affirment la plupart de nos interlocuteurs.

«Ma femme, notre bébé de six mois et moi avons des problèmes de peau. Ma femme, elle, a de petits boutons partout sur son corps. Notre bébé a des tâches au dos et moi-même, comme vous le remarquez sur mon visage», nous explique Eric, nous montrant une bosse sous forme de pustule chaude au-dessus de l’œil droit. Il soupçonne l’eau du forage d’être à la base de cette infection.

Un business florissant

Derrière la construction des forages, se cache un business florissant. D’un coin à un autre, les propriétaires des forages gagnent journalièrement entre 20$ et 60$ selon les périodes et les capacités de stockage de chaque résidence.

«Un bidon de 25 litres se vend à 200 FC avec le courant de la Société Nationale d’électricité (Snel) et 300 FC quand on recourt au groupe électrogène. Ce forage est construit d’abord pour nos besoins domestiques. C’est seulement après que nous avons commencé à vendre à notre voisinage, sous pression de la demande», nous confie maman Lucille, gérante d’un forage à la 5ème Rue.

Soutenant que ‘‘cette eau n’est pas à boire’’ et que ‘‘c’est déconseillé’’, elle nous révèle que, pendant les périodes de pluies, elle peut vendre jusqu’à 5.000 litres d’eau le jour.

Un stimulant pour les pousseurs des chariots

Outre les propriétaires des forages, les conducteurs de charriots ou poussepousses tirent aussi leur épingle du jeu dans ce business. Transporteurs des récipients, Jean et Ezéchiel ‘‘Ezé’’ sont aussi dans le commerce de l’eau. Les deux disposent d’un poussepousse et des bidons, et font du porte-à-porte pour gagner du marché, au prix de leurs muscles.

Quand ils reçoivent la commande, ils vont à la recherche de l’eau qu’ils revendront plus cher. Aujourd’hui, ils ont trois courses importantes. Ils doivent livrer de l’eau à trois clients qui ont demandé plus de 250 litres d’eau chacun. Faute de courant, ils doivent trouver un point de ravitaillement.

Rapidement, on leur signale qu’à la 6ème Rue, on vient d’actionner le groupe électrogène chez une dame qu’ils connaissent bien. De la 1ère à la 5ème Rue, nous décidons de les suivre. Sur place, une dizaine de personnes se ravitaillent déjà à la fontaine de la 6ème Rue. Ils se mettent à la file et attendent leur tour.

Des suspicions sur la qualité d’eau

Devant nos regards, Jean puise l’eau avec une petite bouteille et la boit sans hésiter. «Je bois régulièrement cette eau, même si j’ai parfois des maux de ventre passagers», nous souffle-t-il, d’un air désinvolte. «Chaque jour, poursuit-il, nous gagnons à peu près 50.000 FC (23 USD). Nous achetons généralement le bidon de 25 litres à 250 FC pour le revendre à 600 FC», nous raconte Jean.

La première cliente à réceptionner un lot de 10 bidons nous informera que, depuis 2014, elle ne reçoit plus d’eau du robinet. Elle dépenserait 18.000 FC (environ 6$) la semaine pour s’approvisionner. Comme les autres habitants interrogés, le problème de la qualité d’eau revient. Elle aurait perdu de son teint à cause de l’utilisation de cette eau. Elle l’associe, dès lors, à d’autres dépolluants pour se laver et nettoyer la vaisselle.

Nous avons visité 10 bornes fontaines alimentées par les forages. La qualité d’eau qui y sort a des similitudes ; elle est lourde, contient de résidus ou particules fines et semble se mélanger à l’huile palmiste.

Les hôpitaux et centres de santé dans le quartier Salongo Sud confirment enregistrer des patients qui souffrent des maladies hydriques, mais ils ne disposent pas des statistiques fiables à ce jour. Aucun travail n’a été fait dans ce sens pour ressortir les données liées aux différentes maladies hydriques dans la zone où s’est déroulé notre reportage.

Le coût d’un forage…

Propriétaire d’un forage, un entrepreneur nous a livré les coordonnées d’une entreprise qui l’a aidé à construire ce moyen de production. «Nous pouvons vous construire un forage à 3.800 USD au prix promotionnel d’une profondeur de 40 mètres. Les frais d’étude du sol sont fixés à 50 USD. Si nous atteignons simplement la nappe phréatique, vous aurez directement de l’eau propre », nous répond un cadre de cette entreprise interrogé sur le coût de construction d’un forage.

Une autre agence propose 2.800 USD et 50 USD des frais d’étude du sol. Avec désinvolture, elle fait savoir qu’il suffit simplement de creuser jusqu’à la roche pour obtenir de l’eau propre qu’on pourrait même boire.

Toute eau de forage n’est pas potable

Ingénieur et expert en génie environnemental, Lambert-Joseph Mwamba ne partage pas la raison avancée par les agences de construction des forages. Raison selon laquelle il suffit de creuser jusqu’à la nappe pour avoir de l’eau potable.

«L’eau des forages n’est pas automatiquement propre à la consommation. Bien qu’elle provienne de nappes phréatiques, elle peut contenir des contaminants, tels que des bactéries, des parasites ou des éléments chimiques nocifs qui peuvent nuire à la santé si elle est consommée sans traitement préalable», explique cet expert au quotidien ‘‘Forum des As’’.

L’eau issue du forage doit, selon lui, remplir des conditions pour être consommée dans les ménages. Il faudrait à cet effet des analyses physico-chimiques et bactériologiques pour vérifier la présence de contaminants, tels que des bactéries, des nitrates, ou d’autres polluants chimiques. Ces analyses permettent de s’assurer que l’eau respecte les normes de potabilité fixées par l’OMS. Il faudra, en outre, inclure le facteur entretien et stratégies de construction du forage pour avoir une eau consommable, atteste Lambert-Joseph Mwamba.

Les profondeurs requises pour les forages

«Les nappes de Kinshasa se retrouvent à de différentes profondeurs selon qu’on se retrouve dans les régions basses, moyennes ou collinaires. On réalise des forages de 30 à 60 mètres dans la partie basse et entre 200 et 300 mètres dans la partie collinaire», explique l’ingénieur Jeannot Bitulu de l’ONG ADIR, spécialisée dans l’aménagement des forages de qualité.

«Toutefois, avant de creuser un forage, il faudra faire une étude du milieu pour déterminer la profondeur, le type d’équipements à installer et la technique appropriée. Si le forage n’est pas bien protégé, il y aura infiltration des eaux superficielles qui infecteront le puits du forage et l’eau sera impropre à la consommation. On peut se contenter de l’eau de forage, mais il faut prendre des précautions pour la traiter avant consommation», précise Jeannot Bitulu.

Si la qualité d’eau inquiète pour la santé de la population, les experts environnementalistes et géologues craignent aussi pour la sécurité des habitants. Ils redoutent la contamination des nappes phréatiques, mais surtout l’affaissement du sol dans des zones où les forages prolifèrent, particulièrement dans de petits espaces.

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